Voices of Vision: An interview with Doris McLean
Doris McLean est une leader au franc-parler dont le travail de défense des intérêts a bénéficié à de nombreux aspects de la vie au Yukon. Mme McLean, dont le nom tagish est Guna, possède des ancêtres tlingits et tagishs et fait partie du clan des Dakl'aweidis (Épaulard). Elle a travaillé sans relâche pour tenter de préserver la langue tagish et rétablir les droits des Autochtones; elle a travaillé comme bénévole dévouée au sein de nombreux groupes, dont ceux des citoyens de la GRC en patrouille, des Jeux d'hiver de l'Arctique de 2000 et du Festival international des conteurs du Yukon. Elle a été chef de la Première nation de Carcross/Tagish de 1988 à 1992 et a défendu ardemment l'autonomie gouvernementale. Elle a d'ailleurs été la première sergente d'armes canadienne autochtone de l'Assemblée législative du Yukon et a notamment reçu la Médaille du jubilé de la Reine.
Transcription
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DORIS MCLEAN : Salut. Je m’appelle Doris McLean. Mon nom de jeune fille est Johns. Je viens de la région de Carcross. Je suis née dans la Première nation de Carcross/Tagish et j’y ai vécu jusqu’à mon départ pour l’école; j’y suis revenue, je me suis mariée et j’ai élevé deux filles.
MEAGAN PERRY (VOIX HORS CHAMP) : Elle ne l’a peut-être pas mentionné, mais Doris McLean est également le sergent d’armes de l’Assemblée législative du Yukon et elle siège au Conseil exécutif de la Première nation de Carcross/Tagish. Elle participe de ce qui fait du Yukon un leader mondial du courant moderne vers une plus grande autonomie gouvernementale des Autochtones. En 1993, année où le Canada, le Yukon et l’organisme qui devait devenir le Conseil des Première nations du Yukon signèrent l’« Accord-cadre définitif », ou « ACD », les conditions étaient réunies pour que les Premières nations du territoire recadrent leur vision de l’autonomie gouvernementale autochtone dans une perspective plus conforme à la réalité moderne.
DORIS MCLEAN : Vous savez, c’était enthousiasmant d’être jeune, d’entendre parler de la potentialité des choses qui allaient venir, des choses que nous devions accomplir et des efforts à déployer et, à cette époque-là, nous avions tous un objectif commun.
MEAGAN PERRY (VOIX HORS CHAMP) : Près de 30 ans plus tard, Doris McLean a la satisfaction de constater que les efforts qu’elle a déployés pour la mise en œuvre des ententes sur l’autonomie gouvernementale et les revendications territoriales portent leurs fruits. Je m’appelle Meagan Perry et, au début de 2011, Doris McLean a accepté de me recevoir dans sa cuisine. Nous avons parlé de la mise en œuvre des ententes sur l’autonomie gouvernementale et sur le règlement des revendications territoriales et de ce que cela a pu signifier pour elle, pour sa Première nation, pour le Yukon et pour le Canada. Nous avons commencé à parler de son enfance.
MEAGAN PERRY : Où avez-vous été à l’école?
DORIS MCLEAN : Je suis allée à l’école en Alaska, en Alberta et au Yukon.
MEAGAN PERRY : Wow. C’est beaucoup d’endroits.
DORIS MCLEAN : Oui, c’est vrai. C’est que, voyez-vous, nous avons été élevés comme Autochtones n’ayant pas le statut d’Indiens inscrits comme membres d’une Première nation. Comme j’avais une sœur qui vivait à Skagway, je suis allée vivre avec elle pendant que je fréquentais l’école – l’école secondaire. Comme j’avais également une autre sœur qui vivait en Alberta, je suis allée là et j’ai vécu avec elle pendant un certain temps. C’est pourquoi je me suis retrouvée à aller habiter [rires] dans ces différents endroits.
MEAGAN PERRY : Ah oui, c’est merveilleux. Donc, vous avez vu des choses un peu partout.
DORIS MCLEAN : Bien sûr.
MEAGAN PERRY : Excellent. Pour ceux qui ne le savent peut-être pas, dans ces balados, nous parlons de la mise en œuvre des ententes de règlement des revendications territoriales et des ententes d’autonomie gouvernementale; mais, Doris, pouvez‑vous, pour ceux qui ne connaissent pas Carcross, me décrire brièvement de quoi avait l’air cette localité au moment où vous avez commencé à travailler pour l’autonomie gouvernementale et les revendications territoriales?
DORIS MCLEAN : D’accord.
MEAGAN PERRY : À quoi ressemblait Carcross à cette époque?
DORIS MCLEAN : Eh bien, Carcross est une petite ville toute particulière. Elle est blottie au cœur de ce que j’estime être la meilleure partie du Yukon. Un décor de rêve avec ses eaux poissonneuses, ses magnifiques montagnes et ses multiples territoires de chasse. Non loin de la ville vit le mouflon de Dall, une espèce propre à cette partie du pays. À l’époque, la ville ressemblait à un petit village de l’Ouest, vous savez avec des maisonnettes des deux côtés de la rivière qui était traversée par un vieux pont branlant sur lequel se donnaient rendez‑vous tous les enfants de l’endroit, pour y pêcher le hareng. Plus tard – dans les années 1960 – deux compagnies minières se sont installées dans la ville : l’Arctic Mine et la Venus Mine. Elles ont laissé leurs empreintes : la pollution de l’eau et beaucoup de poissons morts, notamment le hareng dont je vous parlais. Vous savez, ce ne fut pas une bonne idée. Et c’est justement ce que craignent beaucoup d’Autochtones: des compagnies minières qui viennent s’installer, qui polluent l’environnement et s’en vont sans nettoyer les dégâts. Et la plupart du temps nous n’en tirons aucun bénéfice. Nous n’obtenons pas les emplois et, comme vous le savez, c’est quelqu’un d’autre qui perçoit les redevances et bénéfices. Donc, c’est vraiment un sujet de controverse chez les Premières nations, et ce depuis de nombreuses années.
MEAGAN PERRY : Dites-moi comment vous êtes arrivée à participer activement à la conclusion et la mise en œuvre d’ententes sur l’autonomie gouvernementale et sur les revendications territoriales? Est-ce que cela s’inscrivait dans ce que vous aviez vécu à Carcross?
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DORIS MCLEAN : Oui, c’est en effet le cas. Comme vous le savez, j’ai eu l’occasion – encore toute jeune, grandissant dans la région de Carcross – de visiter des maisons avec une anthropologue qui s’appelait Kitty McClellan. C’est comme ça que j’ai pu apprendre l’histoire de notre peuple : le récit de leurs migrations, leur arrivée dans la région, leurs réalisations, les épreuves qu’ils ont endurées (p. ex., toutes les maladies contractées qui ont terrassé un grand nombre d’entre eux), puis l’arrivée de l’armée, la construction de la route de l’Alaska – et tous ces malheurs qui se sont abattus sur notre peuple, vous savez? Vous savez, très grande majorité d’entre eux ne pouvaient dire « non, c’est assez, vous n’allez plus rien nous faire ».
Donc, c’est au début de mon adolescence que la première organisation autochtone a été créée. Elle s’appelait l’« Association pour l’avancement des Indiens du Yukon ». Elle a été fondée par les religieux, dirigée à l’époque par les Baha’i du Yukon. Avec mon oncle George Sydney, notre tante Angela Sydney et de quelques autres personnes, nous avions l’habitude, ma cousine Annie et moi ainsi que plusieurs autres adolescents de venir à ces réunions pour entendre les adultes parler de ce qui se passait et évoquer la possibilité pour notre peuple de se prendre en charge. Vous savez, pour moi ce fut le début, je n’étais qu’une adolescente de 15 ans et j’étais fascinée par ce monde et toutes ces nouvelles idées.
Puis après, l’Association pour l’avancement des Indiens du Yukon a donné naissance au Centre d’amitié Skookum Jim. J’y ai adhéré dès mon adolescence. Nous avons pris part à bon nombre de ses programmes. Quand je suis devenue un peu plus âgée, j’ai siégé au conseil de direction puis j’ai intégré le personnel des Skookies. Alors que mes enfants étaient encore bébés, j’ai été directrice de programme - je planifiais la programmation. A partir du Centre d’amitié Skookum Jim, des amis se rencontrèrent et lancèrent d’autres organisations, par exemple l’Association des Indiens non inscrits du Yukon, que nous appelions à l’époque YANSI, et la Fraternité nationale des Indiens, deux organisations différentes qui sont toutes deux issues du Centre d’amitié Skookum Jim.
MEAGAN PERRY : Donc, la YANSI était l’Association des Indiens non inscrits du Yukon ? Et la Fraternité était la Fraternité des Autochtones du Yukon?
DORIS MCLEAN : Oui, à l’époque c’était ça.
MEAGAN PERRY : Wow, ça devait être passionnant!
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DORIS MCLEAN : Oh! Ça l’était - c’était passionnant d’être jeune et d’entendre parler des choses qui allaient venir, des choses que nous devions accomplir et du travail qu’il y avait à faire. À cette époque‑là nous avions tous un objectif commun. Nos aînés étaient de vrais pionniers. À cette époque-là il y avait Johnnie Johns, Joe Jacquot, Ted Geddes, Elijah Smith et tous ces aînés, durs à la tâche. Ils nous encouragaient à foncer. Ils prenaient la parole dans toutes les réunions et dans les causeries autour d’un feu de camp pour nous encourager à foncer – c’est ce que faisaient mon oncle Johnnie Johns ainsi que mon père. Ils encourageaient principalement les filles, car les filles comme vous le savez sont plus ou moins les premières éducatrices de l’humanité. Comme se plaisait à dire mon oncle : « Vous autres les filles vous devez prendre la place qui vous revient dans cette société ». C’est ainsi qu’avec ma sœur Shirley, ainsi que mon oncle Johnnie Johns, notre cousin Pete Sydney et quelques autres de la région de Carcross, nous nous sommes jetés dans le feu de l’action.
Le chef à l’époque c’était Dan Johnson; il était en faveur du statut d’Indien inscrit – car en ce temps là il y avait deux types de Premières nations au Yukon : il y avait les Indiens inscrits et les Indiens non inscrits. Puis, est venu un moment où nous nous sommes regroupés parce que nous avions compris que pour aller de l’avant nous devions nous unir. Et c’est exactement ce qui s’est produit. Nous savions que quelque chose de meilleur nous attendait.
Carcross a un passé riche d’histoire. On n’a qu’à penser à Skookum Jim, qui a été la première personne à découvrir de l’or dans le Klondike avec George Carmack et sa sœur Kate Carmack ainsi qu’avec sa nièce Patsy Henderson et son neveu Dawson Charlie. Ce sont eux qui ont découvert de l’or, puis les gens ont afflué dans la région. Carcross a aussi produit d’excellents pourvoyeurs et guides de chasse et pêche. Et tous ces gens qui n’étaient pas Autochtones mais qui étaient extraordinaires : Tommy Brooks, monsieur Golden et Ernie Butterfield – et bien d’autres. Eux c’étaient de vrais pionniers. Ils nous ont beaucoup aidés. Je me souviens de ma première rencontre avec une personne d’une autre race, c’est-à‑dire une personne qui n’était pas Autochtone, c’était Kitty McClellan. Une personne merveilleuse, pleine de tendresse et de gentillesse. Et c’était extraordinaire lorsque vous trouviez des personnes de cette trempe qui s’installaient dans votre communauté et qui vous aidaient, encore tout jeunes enfants, à vous développer, à forger votre caractères, à penser et à vouloir des choses différentes. C’est ce genre de personne qui venait s’établir à Carcross.
MEAGAN PERRY : En effet.
DORIS MCLEAN : Donc, au début les gens qui venaient s’établir dans notre petite communauté n’étaient pas remplis de préjugés et ne faisaient pas d’observations négatives. Ce n’est que plus tard que nous en avons rencontrés, mais nous savions alors plus ou moins comment nous défendre.
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MEAGAN PERRY : Ah oui - je voulais justement vous demander -
DORIS MCLEAN : C’est ça Carcross!
MEAGAN PERRY : Oui, c’est ça Carcross. Depuis longtemps, les Autochtones du Yukon luttent avec d’autres pour conclure et mettre en œuvre des ententes sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale. Comment voyez-vous votre participation dans ce processus?
DORIS MCLEAN : Je suis fière et déçue à bien des égards. Je suis déçue parce que nos rêves et les rêves de nos aînés ont mis longtemps à se réaliser. Je suis fière de toutes les choses que nous sommes en train d’accomplir. Je suis fière de moi-même. Je suis fière de savoir que notre peuple peut réaliser de grandes choses. Je suis fière de la confiance mutuelle que nous nous témoignons. Je suis fière de professer l’égalité et l’unité entre nous. Je suis également fière de voir ces jeunes qui sortent des universités avec des diplômes de médecin, d’avocats. Oui, ce sont de grands moments de fierté vous savez. Je suis fière de ceux qui arrivent à savoir qui ils sont, d’où ils viennent, qui découvrent l’histoire de leurs migrations, de leur culture, etc. Le seul fait pour ces personnes de savoir qui elles sont me remplit de fierté. Et je pense que la meilleure chose qui nous soit arrivée en tant que Première nation du Yukon, c’est l’autonomie gouvernementale.
MEAGAN PERRY : La mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale est un processus qui nécessite un engagement à long terme ainsi que la participation de toutes les parties. Dans votre travail pour réaliser cette autonomie gouvernementale, quels sont, à vos yeux, les points qui revêtent une importance toute particulière?
DORIS MCLEAN : Je pense qu’il importe au plus haut point que nous développions nos capacités. Il faut envoyer nos jeunes à l’école pour qu’ils s’instruisent. Fondamentalement, nous devons comprendre que nous avons besoin de l’aide de tous nos membres pour développer nos capacités; car nous savons que nous pouvons y arriver, nous savons que nous pouvons nous administrer dans le cadre de l’autonomie gouvernementale. Vous savez, si nous nous laissons dévorer par la jalousie et l’envie, nous n’irons nulle part. Et je crois que pour réaliser nos rêves, nous devons miser sur l’estime de soi afin que nous puissions nous sentir bien dans notre peau. Et, lorsque vous êtes habité par ce sentiment de bien‑être, personne n’est une menace pour vous, ni votre voisin ni vos amis ni votre professeur – personne.
Pendant mon enfance à Carcross, tous ceux qui dirigeaient la ville étaient des Blancs. Excusez-moi de vous dire ça, mais c’est la vérité. Le ministre du culte était un Blanc, le maître de poste était un Blanc, le magasinier était un Blanc, les policiers étaient des Blancs. Tous ceux qui dirigeaient semblaient être des Blancs. Vous savez, après un certain temps vous en avez marre, comme ce fut le cas pour moi. Quand je parle ainsi, j’exprime mon opinion personnelle. J’ai finalement réalisé que la seule façon pour nous de nous en sortir c’était d’écouter nos aînés. Vous vous instruisez et vous travaillez avec acharnement. Cette éthique du travail c’est un enseignement de mes parents. Ma mère et mon père étaient de rudes travailleurs. Ma mère a élevé neuf enfants et travaillait tout le temps. Quand nous sommes devenus adultes, mon père est tombé malade – c’était un homme qui avait le cœur à l’ouvrage. Il a travaillé pour la White Pass pendant de nombreuses années. Il était pourvoyeur et guide de chasse et il chassait lorsqu’il était en congé. Beaucoup de membres des Premières nations de Carcross ont travaillé pour la White Pass. Le vendredi après-midi, après le travail, mon père nous emmenait chasser; il nous apprenait, encore enfants, comment chasser, comment respecter les animaux et comment méditer et prier avant de tuer un animal; et il nous faisait comprendre que nous ne pouvions pas mélanger la chair de poisson et la chair de caribou parce que dans la nature ces deux animaux ne vivent pas ensemble. C’est ce grand respect que nos aînés avaient pour les animaux qui nous a inspirés.
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MEAGAN PERRY : Et, selon vous, quel est l’apport de la tradition dans le processus de mise en œuvre?
DORIS MCLEAN : Avec la mise en œuvre de nos ententes, je pense que nous devons tout d’abord comprendre qu’il n’y avait qu’un petit groupe de personnes qui comprenait les politiques et les ententes ainsi que leur signification. Quant à l’Indien moyen, il doit demander des explications pour arriver à saisir le sens de ces ententes. Et si ces camps d’été, ces réunions, ces échanges et ces rassemblements ont servi à quelque chose, c’est de nous faire comprendre que nous devons apprendre à nous faire confiance les uns les autres. Et si vous n’avez pas cette confiance, si vous n’êtes pas capable de croire que ceux qui travaillent à la réalisation de l’autonomie gouvernementale font de leur mieux pour vous, alors vous êtes en train de perdre quelques chose d’essentiel – c’est‑à-dire les enseignements de votre peuple.
MEAGAN PERRY : Mm-hmm. Maintenant j’aimerais revenir un petit peu en arrière – Au cours de votre vie, vous avez participé à des ONG et autres organisations concernant les Autochtones. Comment l’autonomie gouvernementale a‑t-elle influé sur la façon dont ces organisations travaillent pour les Premières nations du Yukon? Pensez-vous que les choses ont changé avec la mise en œuvre?
DORIS MCLEAN : Oui, beaucoup de choses ont changé. Je pense que les changements surviennent lorsque vous comprenez que vous êtes membres de ces divers comités, que vous y siégez et que vous commencez à saisir la différence entre l’aspect politique de la situation et l’administration. Parfois cela prend beaucoup de temps pour comprendre qu’il s’agit là de deux choses différentes [rires] et nous nous faisons souvent taper sur les doigts lorsque nous nous écartons de cette ligne et que nous nous mettons à faire de la micro gestion dans le cas d’une personne censée remplir des fonctions dont nous n’avons la moindre idée. Donc, je pense que ça va un petit peu plus loin, et nous devons apprendre qu’il faut parfois revenir sur ses pas pour mieux recommencer. Mais il faut continuer d’aller de l’avant car cela prend des centaines d’années pour construire un gouvernement alors que nous, nous ne faisons que commencer.
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MEAGAN PERRY : Donc, comment vous sentez-vous lorsque vous regardez les années que vous avez consacrées à mettre en œuvre l’autonomie gouvernementale au Yukon? Quelles sont vos impressions lorsque vous y pensez?
DORIS MCLEAN : Je regarde le fait qu’aujourd’hui c’est nous-mêmes qui nous nous prenons en charge et nous n’avons personne d’autre à blâmer que nous-mêmes. Je regarde aussi le fait que c’est nous qui avons négocié ces différentes politiques, ces différentes ententes et nous devons nous assurer que les gouvernements ne renoncent pas à leurs responsabilités; car, vous savez, parfois lorsque vous êtes dans le feu des négociations, tout le monde fait des promesses. Je pense que les promesses sont à la hauteur de l’honnêteté de la personne. Si les négociateurs sont de bonne foi, ils se sentiront obligés de mener les négociations jusqu’à bonne fin. Je crois que ce qui se produit maintenant dans le cas de nombreux gouvernements autochtones, c’est qu’ils constatent que les traités non respectés demeurent toujours non respectés; et comment cette situation peut-elle changer? L’homme doit se changer au niveau spirituel. Là réside la différence.
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MEAGAN PERRY : C’est difficile à faire.
DORIS MCLEAN : Oui, c’est difficile à réaliser. Mais vous savez, cela peut se faire. Ce n’est pas sans espoir. Ils doivent comprendre que quelqu’un a rédigé cette entente. Donc, nous avons pour devoir de la respecter jusqu’au bout. Aujourd’hui, c’est nous qui sommes en charge de nos logements. Nous devons travailler pour avoir de bonnes conditions de logement. Nous devons nous assurer que les gens sont traités convenablement. Non pas comme si on leur faisait un cadeau – nous ne demandons pas de cadeau a déjà dit Elijah Smith. Nous voulons nous prendre en charge nous-mêmes. Et je pense que, eux, les responsables canadiens ont encore cette mentalité. Ils veulent prendre soin de nous.
MEAGAN PERRY : Mm-hmm.
DORIS MCLEAN : Et ils ne comprennent pas qu’ils n’ont pas besoin de prendre soin de nous. Dans cette aventure nous sommes des partenaires.
MEAGAN PERRY : Vous est-il arrivé une fois au cours de votre travail où vous avez eu l’impression que l’autonomie gouvernementale avait fait une percée? Je veux dire un moment où vous pourriez clairement voir que le travail que vous aviez accompli avait un effet positif sur la vie des Yukonnais?
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DORIS MCLEAN : Non. Nous ne voyons pas encore les fruits de l’autonomie gouvernementale. Nous sommes dans la phase d’apprentissage. Tout comme c’est le cas pour notre Première nation, nous ne bénéficions de l’autonomie gouvernementale que depuis cinq ans. Et pourtant nous avons une nette longueur d’avance. Et je le dis bien sincèrement. Nous avons un groupe de gens merveilleux qui mettent en œuvre notre programme – qui appliquent et rédigent nos politiques. Nous devons nous assurer que lorsque nos enfants – mes petits-enfants – arriveront ici à notre place, ils auront été formés pour être des leaders. Ils vont aller à l’université. J’en ai la certitude. Mon petit-fils n’a que cinq ans. Je sais qu’il va aller à l’université. Je sais que ma petite-fille va aller à l’université. Je sais qu’ils vont apprendre comment assurer la relève et poursuivre l’autonomie gouvernementale. Ils ne seront pas des paresseux, c’est‑à‑dire des gens qui attendent qu’on prenne soin d’eux ou qu’on leur serve tout sur un plateau. Leur grand-mère ne l’a jamais fait ni leur arrière-grands-parents et je ne m’attends pas à ce qu’ils le fassent. Ils doivent travailler dur. Ce n’est pas une tâche facile que d’assumer les responsabilités inhérentes à sa propre autonomie gouvernementale. Ce n’est pas facile d’avoir un nouveau gouvernement de nos jours et nous devons appuyer nos leaders. Ce n’est pas tout le monde qui peut être un leader vous savez? Il y a des suiveurs. Et les leaders sont ceux qui mènent la danse et que les gens remarquent; lorsqu’on est un leader, on n’est à la remorque de personne.
MEAGAN PERRY : Il importe que les citoyens du Yukon comprennent en quoi consiste l’Accord-cadre définitif ainsi que les ententes définitives des Premières nations du Yukon et les ententes concernant l’autonomie gouvernementale. Mais il s’agit de documents volumineux et complexes. Donc, comment arrivez-vous à expliquer ces ententes aux Yukonnais?
DORIS MCLEAN : [rires] Eh bien, il s’agit d’un traité moderne. Il y a longtemps, quand nous étions à l’école, on nous parlait de tous ces traités qui n’étaient pas respectés et qui ne fonctionnaient pas et de bien d’autres encore. Tout d’abord, les Premières nations du Yukon ont cédé beaucoup pour avoir droit à l’autonomie gouvernementale. Oui, beaucoup. Je dis que si nous tenons compte de toutes ces terres qui nous appartenaient et que nous avons perdues, nous pouvons dire que nous avons concédé beaucoup de territoires juste pour avoir le droit de payer des taxes. Je crois que tout ce qu’on nous a pris aurait pu en quelque sorte compenser pour toutes les taxes que nous devrions payer notre vie durant; et cela, je le crois sincèrement, lorsque je regarde toutes ces terres. Et compte tenu du fait que nous sommes les premiers peuples – c’est-à-dire les premiers occupants du sol –, je ne saurais dire qui a gagné au bout du compte dans ce genre de négociations. Qui a gagné dans tout cela? Ce que nous pouvons dire en toute certitude, c’est que nous allons partager ces terres et en jouir sur un pied d’égalité. Mais il suffit de regarder aujourd’hui Peel River pour être en mesure de prédire qui est-ce qui va perdre au bout du compte.
MEAGAN PERRY : Comment expliquez-vous l’autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon aux autres peuples des Premières nations des autres partie du Canada où cette autonomie est si différente?
DORIS MCLEAN : Bon, vous savez l’autonomie gouvernementale fait appel à l’autodétermination; en principe, cela consiste à prendre de l’initiative dans tous les domaines. Nous devons assurer la formation, nous devons encadrer nos jeunes – cela prend du courage – et nous devons être vrais envers nous-mêmes et ne pas copier d’autres gouvernements. Nous ne sommes pas un gouvernement qui vient de l’Angleterre. Nous ne sommes pas un gouvernement – nous ne sommes pas le gouvernement du territoire du Yukon. Mais l’autonomie n’est pas non plus « absence de gouvernement ». Le gouvernement que nous avons devant nous a été constitué pour nous-mêmes et par nous-mêmes. Et je pense que nous devons rappeler qu’il y a de la spiritualité dans notre gouvernement. Les dirigeants doivent être des exemples dans notre gouvernement des Premières nations. Je le répète, ils doivent être des exemples. Il est temps de joindre le geste à la parole. Ils ne peuvent siéger au gouvernement, s’ils sont toxicomanes, alcooliques et des vauriens. Ils doivent être des leaders. Et ce point est très important.
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MEAGAN PERRY : Mais parfois il est difficile pour les jeunes de reconnaître les changements que l’autonomie gouvernementale a pu apporter dans leur vie. Pouvez‑vous nous citer des exemples concrets de cas où ces jeunes voient les avantages de l’autonomie gouvernementale dans leur vie quotidienne?
DORIS MCLEAN : La première chose qui me vient à l’esprit est celle‑ci : autrefois, ils étaient opprimés. Souvent, ils étaient envoyés dans des écoles de missionnaires. Ils étaient arrachés à leurs parents à un très jeune âge – trois ans – et placés en pension dans une école de missionnaires, sans pouvoir recevoir l’amour de leurs parents. Leurs parents perdaient toute possibilité de pouvoir les guider, de prendre soin d’eux et de leur apprendre quoi faire. Ils se mettaient debout au son de la cloche, se réveillaient au son de la cloche, priaient au son de la cloche et pourtant ils étaient quand même traités de pécheurs, de vauriens et de toutes sortes de noms à connotations négatives. Vous voyez, il y a eu des changements. Aujourd’hui c’est beaucoup mieux, vous savez. Les enfants sont fiers de leurs origines. Ils apprennent à danser, ils apprennent à chanter. Dans notre Première nation nous prenons l’engagement que nos enfants apprendront leur langue. Certes, le temps nous fait peut‑être défaut, mais nous y arriverons. Le rôle de l’école est en train de changer. Les directeurs sont en train de changer. Vous connaissez John Wright, le directeur de l’école Elijah Smith? Je dois le féliciter d’être aussi merveilleux. J’aurais aimé avoir un John Wright dans mon temps.
MEAGAN PERRY : Les ententes sur l’autonomie gouvernementale sont des documents uniques en leur genre et, comme vous l’avez mentionné, leur mise en œuvre prend du temps. Pouvez-vous prévoir comment les gouvernements surmonteront les défis qui accompagnent l’édification de quelque chose de nouveau?
DORIS MCLEAN : Avant tout, le respect de soi. Nous devons nous respecter nous‑mêmes. Nous devons savoir que ces gens dans lesquels nous avons placé notre confiance vont faire l’impossible pour accomplir leur travail et nous devons les appuyer. Nous devons être fiers de nos gens. Nous devons cesser d’être négatifs. Pour l’amour du ciel, la vie est si courte, pourquoi la gâcher en étant pessimiste? Quand on a le cafard, on reste à la maison. On reste couché!
MEAGAN PERRY : Selon vous, qu’est-ce que l’autonomie gouvernementale apporte à la vie des gens du Yukon d’origine autochtone et d’origine non autochtone ?
DORIS MCLEAN : L’égalité. Vivre sur le même plan. Pourvoir faire les mêmes choses. Faire des progrès et travailler en collaboration. Éliminer l’oppression.
MEAGAN PERRY (VOIX HORS CHAMP) : C’était Doris McLean de la Première nation de Carcross/Tagish. Elle m’a parlé en janvier 2011 de l’autonomie gouvernementale et des revendications territoriales au Yukon. Cette entrevue vise à sensibiliser le public sur l’histoire et la mise en œuvre des ententes de règlement des revendications territoriales et d’autonomie gouvernementale au Yukon. Les idées et les opinions exprimées dans cette entrevue sont celles de la personne interviewée. Cette série de balados a été produite par le Groupe de travail sur la mise en œuvre, dans le cadre d’une initiative de collaboration réunissant le Conseil des Premières nations du Yukon, le gouvernement du Yukon, le gouvernement du Canada et les Premières nations autonomes du Yukon.